Monstruation : un mot sur l’indicible
- laulalberth
- 25 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juil.
Je cherche un titre à mon poème. Ça parle de monstres et de menstruation. Ça devait s’appeler « Monstres et menstruation ». Logique. Mais elle me souffle un mot, nouveau. Écoute-la, me dis-je. Écoute-les. Écoute Anne et Aracelli ou Gisèle et Gisèle. Elles savent. Elles connaissent ces choses.

Menstruation matters !
Comme Naïma, elles connaissent les jours sans et les jours sang. Certaines en parlent avec courage, même si la honte persiste. L’image biblique de la femme impure est tenace. Et dire que ce n’était qu’une recommandation sanitaire, pas une remise en cause de la valeur de la femme. Mais on croit bien ce qu’on veut.
Et surtout, on se tait quand ça arrange. Preuve en est ce silence menstruel, démentiel, en littérature. Qui ose parler des menstruations ? Si peu. Souvent pour parler d’autre chose. Grâce à Julia Barantin, nous en savons un peu plus. Stephen King, exagéré. Émile Zola, consensuel. Virginie Despentes, radical. Annie Ernaux, factuel. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir les mots.

Elle-a-ses-ours...ses ours... ses ours ! Sue sentit s’accroître son dégoût en voyant les premières gouttes sombres de sang menstruel s’étaler sur le carrelage en tâches rondes comme des pièces de dix cents. (...) L’écoulement sombre persistait avec une régularité impressionnante. Les deux jambes de Carrie étaient inondées comme si elle avait pataugé dans un baquet de sang. (...) Elle s’imaginait qu’elle allait mourir d’hémorragie.
Dans le langage courant, on aime les euphémismes. Ça aide à supporter la honte d’avoir ses règles, ses ragnagnas, ses périodes, ses affaires, ses lunes, d’être en ses mois, en ses jours, de cuisiner ses rougets, de repeindre la grille en rouge. Avoir ses menstrues, c’est monstrueux.
Et que dire de la femme réglée ? Qui tient la règle ? L’adjectif « menstruée » a même disparu de certains dictionnaires.
Conséquence de ce silence, les tabous vous poussent à bout de la double peine. Quand la source s’écoule, on a honte et peur. Quand la source tarit, on a peur et honte. Encore.
Quand un homme saigne, on compatit. On le soigne. Parfois même, on le porte en héros. Quand une femme saigne, on s’éloigne. On la cache. On s’agace qu’elle s’agace trop vite. Quelle sagacité !
Qui connait la ménarche, le premier mois de la jeune fille ? A quand une fête, un rite de passage, une glorification de ce premier sang, preuve que l’enfant devient femme. (J’ai dit « devient ». Action en cours. Laissons à la toute jeune femme quelques années supplémentaires d’insouciance corporelle. L’un n’empêche pas l’autre.)
Et à quand aussi l’autre rite de passage, celui du dernier sang, quand la femme devient femme libre.
On l’a bien fait pour de mauvaises raisons avec le sang de l’hymen.

Un matin, au moment où Mme Chanteau quittait sa chambre, elle entendit des plaintes chez Pauline, elle monta très inquiète. Assise au milieu du lit, les couvertures rejetées, la jeune fille appelait sa tante d’un cri continu, blanche de terreur ; et elle écartait sa nudité ensanglantée, elle regardait ce qui était sorti d’elle, frappée d’une surprise dont la secousse avait emporté toute sa bravoure habituelle.
To chase the monsters away !
Les monstres sont parmi nous.
Quand on a ses menstrues, on sait bien que les monstres sont ceux qui n’ont plus de règles. Ils aiment et flairent le sang des femmes menstruées, victimes privilégiées.
Les monstres sont parmi nous.
Mais ils ne se montrent pas. Ils se cachent sous les apparences de la banalité. Ce sont les monstres du quotidien conjugal. 51 d’entre eux viennent d’être démasqués à Mazan. Et maintenant, ce ne sont plus des monstres mais des hommes qui devront payer. Certains se racheter, peut-être. Mais le prix est élevé quand on a trahi, drogué, soumis, empoisonné, photographié, filmé, abusé, agressé, violé.
Les monstres sont parmi nous.
Quand on drogue, nouvelle mode, on révèle son impuissance et sa monstruosité, y compris dans les hautes sphères, y compris sous les dorures. Même quand la proie saigne, le nouveau prédateur n’est pas à la hauteur. C’est quand elle dort qu’il bande et pavoise, ou agit en meute. Moins que l’animal qui connait sa parade nuptiale, qui sait attirer, convaincre ou renoncer, le nouveau prédateur nourrit sa bassesse de la faiblesse de sa victime endormie, sa déchéance, de son innocence inconsciente. D’ici peu, c’est au cimetière qu’il ira se satisfaire.
« Comment as-tu pu me trahir à ce point ? Comment as-tu pu faire entrer tous ces individus chez nous, dans ma chambre à coucher ? Cette trahison est incommensurable. J’ai toujours essayé de te tirer vers le haut, tu as choisi les bas-fonds de l’âme humaine. », dit Gisèle qui n’a plus peur du monstre.

Nadine s’accroupit en face d’elle, considère sentencieusement le mince filet de pisse rouge très épaisse qui lui sort par saccades plus ou moins généreuses. Dedans, il y a des petits lambeaux plus sombres, comme la crème dans le lait qu’on retient avec la cuillère.
Parlons monstruations
Découvrir des monstres parmi nous est une sidération. Chaque fois, on reste sans voix.
Un mot nouveau s’impose. Un mot pour y jeter le dégout, les haut-le-cœur, l’aversion, la colère, la honte illégitime, la culpabilité imposée, mais aussi le doute, la suspicion, la méfiance, la défiance, la paranoïa, la folie. Quand on exprime, on expurge. Quand on verbalise, on inculpe. Quand on dit, on s’absout. Et surtout, quand on parle, un autre écoute. Et on ne sombre pas dans la paranoïa. On garde confiance en la nature humaine capable de vaincre toutes ces monstruations, ces conséquences violentes d’un silence menstruel séculaire, de la volonté de certains de cacher la femme qui saigne, d’exhiber comme un objet la femme qui ne saigne pas, d’invisibiliser celle qui ne saigne plus.
La littérature doit dire, hausser le ton, montrer comment certains deviennent des monstres dans leur sexualité dévoyée, pornographique, affichée sur des écrans, dénuée d’humanité, privé d’intimité, exempt d’altérité. L’amour est intime, privé, sacré. Tout montrer, c’est profaner. L’image n’est pas l’autre. Ce n’est que le moi dont se nourrit le monstre. La littérature doit l’écrire. Le livre le décrire. L’écran informe. Mais le livre dévoile et transforme.
La littérature doit le dire. Les monstres sont parmi nous.
Et j’ai enfin trouvé un titre à mon poème. Merci à elle. Sang rancune à eux.

Si j’accepte de mettre en doute la fiabilité de la mémoire, même la plus implacable, pour atteindre la réalité passée, il n’en demeure pas moins ceci : c’est dans les effets sur mon corps que je saisis la réalité de ce qui a été vécu à S. Mon sang s’est arrêté de couler dès le mois d’octobre.
Fin de l’article
Comments